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qu’elle avait pleuré, et il redevenait tendre à sa manière : « Voyons, qu’y a-t-il ? la pauvre petite femme a quelque ennui ? Avez-vous envie d’un cachemire ? Voulez-vous que je vous mène promener en voiture ? Non ? Alors ce sont les camélias qui ont gelé ? On vous en fera venir de Paris qui auront une meilleure santé et qui seront si beaux, que vous ne regretterez pas les anciens. » Et, en effet, il ne manquait pas une occasion de satisfaire, à quelque prix que ce fût, les goûts innocents de sa compagne. Il exigeait même qu’elle fût plus richement parée qu’elle n’en avait le désir. Il pensait que les femmes sont des enfants qu’il faut récompenser de leur sagesse par des jouets et des futilités.

« Il est certain, se disait alors madame Cardonnet, que mon mari m’aime beaucoup et qu’il est rempli d’attentions pour moi. De quoi puis-je me plaindre et d’où vient que je me sens toujours triste ? »

Elle vit Émile sombre et abattu, et ne sut pas lui arracher le secret de sa douleur. Elle l’interrogea fastidieusement sur sa santé, et lui conseilla de se coucher de bonne heure. Elle pressentait bien quelque chose de plus sérieux que les suites d’une insomnie ; mais elle se disait qu’il valait mieux laisser un chagrin s’endormir dans le silence que de l’entretenir par l’épanchement.

Le soir, Émile, en se promenant à l’entrée du village, rencontra Jean Jappeloup, qui, revenu depuis quelques heures, fêtait joyeusement son arrivée avec plusieurs amis, sur le seuil d’une habitation rustique.

« Eh bien, lui dit le jeune homme en lui tendant la main, vos affaires sont-elles arrangées ?…

— Avec la justice, oui, monsieur ; mais pas encore avec la misère. J’ai fait mes soumissions, j’ai raisonné de mon mieux avec le procureur du roi, il m’a écouté avec patience : il m’a bien dit quelques bêtises en manière de