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« Ô mon père, au lieu de lutter avec les forts contre les faibles, luttons avec les faibles contre les forts. Essayons ! mais alors ne songeons point à faire fortune, renonçons à capitaliser pour notre compte. Consentez-y, puisque j’y consens, moi, pour qui vous travaillez aujourd’hui. Tâchons de nous identifier l’un à l’autre de cette façon, et renonçons au gain personnel en embrassant le travail. Puisque nous ne pouvons à nous seuls créer une société où tous seraient solidaires les uns les autres, soyons comme ouvriers de l’avenir, dévoués aux faibles et aux incapables d’à présent.

« Si le génie de Napoléon eût été formé à cette doctrine, peut-être eût-elle converti le monde ; mais qu’on trouve cent hommes semblables à nous, et que cette fièvre d’acquérir soit un zèle divin, que la soif de la charité nous dévore, associons tous nos travailleurs à tous nos bénéfices, que notre grande fortune ne soit pas votre propriété et mon héritage, mais la richesse de quiconque nous aura aidés suivant ses moyens et ses forces à la fonder ; que le manœuvre qui apporte sa pierre soit mis à même de connaître autant de jouissances matérielles que vous qui apportez votre génie ; qu’il puisse, lui aussi, habiter une belle maison, respirer un air pur, se nourrir d’aliments sains, se reposer après la fatigue, et donner l’éducation à ses enfants ; que notre récompense ne soit pas dans le vain luxe dont nous pouvons nous entourer, vous et moi, mais dans la joie d’avoir fait des heureux, je comprendrai cette ambition et j’en serai dévoré. Et alors, mon père, mon bon père, votre œuvre sera bénie.

« Cette paresse, cette apathie qui vous irritent et qui ne sont que le résultat d’une lutte où quelques-uns triomphent au détriment d’un grand nombre qui succombe et se décourage, disparaîtront d’elles-mêmes par la force des choses ! Alors vous trouverez tant de zèle et d’amour au-