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vu me passionner pour des études plus abstraites, et vous m’avez arrêté comme si j’avais couru à ma perte. Vous savez bien, pourtant, quel était mon vœu, lorsque vous me pressiez de chercher une application matérielle des sciences que je préférais. Vous ne vouliez pas que je fusse artiste et poète : peut-être aviez-vous raison ; mais j’aurais pu être naturaliste, tout au moins agriculteur, et vous m’en avez empêché. C’était pourtant une application réelle et pratique.

« L’amour de la nature m’entraînait à la vie des champs. Le plaisir infini que je trouvais à sonder ses lois et ses mystères, me conduisait naturellement à pénétrer ses forces cachées, et à vouloir les diriger et les féconder par un travail intelligent.

« Oui, là était ma vocation, n’en doutez pas. L’agriculture est en enfance ; le paysan s’épuise aux travaux grossiers de la routine ; des terres immenses sont incultes. La science décuplerait les richesses territoriales et allégerait la fatigue de l’homme.

« Mes idées sur la société s’accordaient avec le rêve de cet avenir. Je vous demandais de m’envoyer étudier dans quelque ferme-modèle. J’aurais été heureux de me faire paysan, de travailler d’esprit et de corps, d’être en contact perpétuel avec les hommes et les choses de la nature. Je me serais instruit avec ardeur, j’aurais creusé plus avant que d’autres peut-être le champ des découvertes ! Et, un jour, sur quelque lande déserte et nue transformée par mes soins, j’aurais fondé une colonie d’hommes libres, vivant en frères et m’aimant comme un frère.

« C’était là toute mon ambition, toute ma soif de fortune et de gloire. Était-ce donc insensé ? et pourquoi avez-vous exigé que j’allasse apprendre servilement un code qui ne sera jamais le mien ?