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— Suffit ! suffit ! vous êtes riche et je suis pauvre, mais je ne tends pas encore la main, et j’ai des raisons pour ne pas me faire le serviteur du premier venu… Encore si je savais qui vous êtes…

— Vous vous méfiez de moi ? dit le jeune homme, dont la curiosité était éveillée par le caractère hardi et fier de son compagnon. Pour vous prouver que la méfiance est un mauvais sentiment, je vais vous payer d’avance. Combien voulez-vous ?

— Pardon, excuse, monsieur, je ne veux rien ; je n’ai ni femme ni enfants, je n’ai besoin de rien pour le moment : d’ailleurs j’ai un ami, un bon camarade, dont la maison n’est pas loin, et je profiterai du premier éclairci pour y aller souper et dormir à couvert. Pourquoi me priverais-je de cela pour vous ? Voyons, dites ! est-ce parce que vous avez un bon cheval et des habits neufs ?

— Votre fierté ne me déplaît pas, tant s’en faut ! Mais je la trouve mal entendue de repousser un échange de services.

— Je vous ai rendu service de tout mon pouvoir, en vous disant de ne pas vous risquer la nuit par un temps si noir et des chemins qui, dans une demi-heure, seront impossibles. Que voulez-vous de plus ?

— Rien… En vous demandant votre assistance, je voulais connaître le caractère des gens du pays, et voilà tout. Je vois maintenant que leur bon vouloir pour les étrangers se borne à des paroles.

— Pour les étrangers ! s’écria l’indigène avec un accent de tristesse et de reproche qui frappa le voyageur. Et n’est-ce pas encore trop pour ceux qui ne nous ont jamais fait que du mal ? Allez, monsieur, les hommes sont injustes ; mais Dieu voit clair, et il sait bien que le pauvre paysan se laisse tondre, sans se venger, par les gens savants qui viennent des grandes villes.