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d’emprunt, un rôle pour imposer aux autres hommes ; et, pendant qu’il paraissait se contenir ainsi, il calculait tumultueusement les effets et les moyens de sa colère près d’éclater. Aussi lorsque l’irrésolution chagrine de M. de Boisguilbault aboutissait à quelques monosyllabes mystérieux, le calme trompeur de M. Cardonnet couvait un orage dont il retardait à son gré l’explosion, mais qui s’exhalait tôt ou tard en paroles nettes et significatives. On eût pu dire que la vie de l’un s’alimentait par ses manifestations puissantes, tandis que celle de l’autre s’épuisait en émotions refoulées.

M. Cardonnet savait fort bien que son fils n’était pas facile à persuader, et que l’intimider par la violence ou la menace était impossible. Il s’était trop souvent heurté à ce caractère énergique, il avait trop éprouvé sa force de résistance, quoique ce n’eût été jusqu’alors que dans les petites occasions offertes au jeune âge, pour ne pas savoir qu’il fallait avant tout lui inspirer un respect fondé. Il ne commettait donc guère de fautes en sa présence, et s’observait, au contraire, avec un soin extrême.

« Eh bien, mon père, êtes-vous donc fâché de ce qui arrive d’heureux à ce pauvre Jean ? dit Émile, et me blâmez-vous d’avoir couru au-devant des bonnes intentions de son sauveur ? Je me suis fait fort de votre concours, et il faudra bien que ce méfiant charpentier apprenne à vous connaître, à vous respecter, et même à vous aimer.

— Tout cela, dit M. Cardonnet, ce sont des paroles. Il faut de suite écrire pour lui. Mon secrétaire est occupé, mais je présume que tu voudras bien prendre quelquefois sa place dans les occasions délicates.

— Oh ! de tout mon cœur, s’écria Émile.

— Écris donc, je vais te dicter. »

Et M. Cardonnet rédigea plusieurs lettres remplies de zèle, de sollicitude pour le délinquant, et tournées avec