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fois, à Émile, et il le répéta dans un accès de rêverie un peu hébétée :

« Protégé ! fit-il en soupirant à sa manière.

— J’aurais dû dire votre obligé, reprit Émile, qui se repentait déjà de sa vivacité et craignait de nuire au charpentier. De quelque nom qu’il vous plaise que je l’appelle, monsieur le marquis, cet homme est plein de gratitude pour vos bontés, et s’il eût osé, il m’eût suivi pour vous en remercier encore. »

Une légère rougeur colora instantanément les pommettes de M. de Boisguilbault, et il répondit d’une voix plus assurée :

« J’espère qu’il me laissera tranquille dorénavant. »

Émile fut blessé de ce mouvement, il ne put s’empêcher de le faire sentir :

« Si j’étais à sa place, dit-il avec un peu d’émotion, je souffrirais beaucoup d’être accablé d’un bienfait que mon dévouement, ma gratitude et mon labeur ne pourraient jamais acquitter. Vous seriez encore plus généreux que vous ne l’êtes, monsieur le marquis, si vous permettiez au brave Jean Jappeloup de vous offrir ses remerciements et ses services.

— Monsieur, dit M. de Boisguilbault en ramassant une épingle qu’il attacha sur sa manche, soit pour ne pas montrer une sorte de trouble qui s’emparait de lui, soit par une habitude invétérée d’ordre et d’arrangement, je vous avertis que je suis irascible… très irascible. »

Sa voix était si calme et sa prononciation si lente en donnant cet avis à Émile, que celui-ci faillit éclater de rire.

« Pour le coup, pensa-t-il, nous sommes un peu toqués, comme dit Jean. Si j’ai eu le malheur de vous déplaire, monsieur le marquis, dit-il en se levant, je me retire pour ne pas aggraver mes torts, car j’aurais peut-être