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sombre qui rampait dans ces appartements, il fut frappé du grand caractère de l’ameublement. Tout datait du temps de Louis XIII, et l’on eût dit qu’un amateur avait minutieusement présidé au choix des moindres détails. Rien n’y manquait ; depuis l’encadrement des glaces jusqu’au moindre clou de la tenture, il n’y avait pas le moindre écart de style. Et tout cela était authentique, à demi usé, propre encore, quoique terne ; riche et simple en même temps. Émile admira le bon goût et la science de M. de Boisguilbault. Il sut plus tard que l’absence de mouvement et l’horreur du changement, qui paraissaient héréditaires dans cette famille, avaient seuls contribué, de père en fils, à la conservation merveilleuse de ces richesses, que la mode actuelle cherche à réunir à grands frais dans les boutiques de bric-à-brac, aujourd’hui les plus somptueuses et les plus intéressantes qui soient au monde.

Mais, au plaisir que le jeune homme trouva à examiner ces raretés, succéda une impression de froid et de tristesse extraordinaire. Outre l’atmosphère glacée d’une demeure fermée en tous temps aux rayons généreux du soleil, outre le silence extérieur, il y avait quelque chose de funèbre dans la régularité du bel arrangement intérieur que personne ne troublait jamais, et dans ce luxe artiste et noble dont personne n’était appelé à jouir. Il était évident, à voir ces portes si bien fermées, dont le domestique gardait les clefs, cette propreté que n’altérait pas le moindre grain de poussière, ces lourds rideaux fermés, que jamais le châtelain n’entrait dans le salon, et que les seuls visiteurs assidus étaient un balai et un plumeau, Émile songea avec effroi à la vie que la défunte marquise de Boisguilbault, jeune et belle, avait dû mener dans cette maison immobile et muette depuis des siècles, et il lui pardonna de tout son cœur d’avoir été respirer ailleurs avant de mourir. « Qui sait, pensa-t-il, si elle