Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pays, que vous avez toujours aimé, et qui est sain et rafraîchissant. Quand je m’en mêle surtout, il est clair comme de l’eau de roche et ne vous échauffe point l’estomac. Et les habits, n’en êtes-vous pas content ? Autrefois vous aviez une garde-robe qui se mangeait aux vers, et vos gilets passaient de mode avant que vous les eussiez portés ; car vous n’avez jamais aimé la toilette. Aujourd’hui vous n’avez que ce qu’il vous faut pour avoir frais en été, chaud en hiver ; le tailleur du village vous prend la taille à ravir, et ne vous gêne point dans les entournures. Allons, Monsieur, convenez que tout est pour le mieux, que jamais vous n’avez eu moins de souci, et que vous êtes le plus heureux des hommes ; car je n’ai point parlé de l’avantage d’avoir une fille charmante, qui se trouve heureuse avec vous…

— Et une Janille incomparable qui n’est occupée que du bonheur des autres ! s’écria M. Antoine avec un attendrissement mêlé de gaieté. Eh bien ! tu as raison, Janille, et j’en étais persuadé d’avance. Vive Dieu ! tu me fais injure d’en douter, car je sens que je suis en effet l’enfant gâté de la Providence, et, sauf un secret ennui que tu sais bien, et dont tu as bien fait de ne pas me parler, il ne me manque absolument rien ! Tiens, je bois à ta santé, Janille ! tu as parlé comme un livre ! À votre santé aussi, monsieur Émile ! Vous êtes riche et jeune, vous êtes instruit et bien pensant, vous n’avez donc rien à envier aux autres ; mais je vous souhaite une aussi douce vieillesse que la mienne et d’aussi tendres affections dans le cœur ! — Mais c’est assez parler de nous, ajouta M. Antoine, en posant son verre sur la table, et il ne faut pas oublier nos autres amis. Parlons du meilleur de tous après Janille ; parlons de mon vieux Jean Jappeloup et de ses affaires.

— Oui, parlons-en ! s’écria une voix forte qui fit tres-