Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ques à mon gré. Il disait que puisqu’il était destiné à vivre en ouvrier de campagne, il serait plus sage d’élever sa fille en vue de sa condition, d’en faire une brave villageoise, de lui apprendre à lire, à coudre, à filer, à tenir un ménage ; mais du diantre si j’entendis de cette oreille-là ! Pouvais-je souffrir que mademoiselle de Châteaubrun dérogeât à son rang et ne fût pas élevée comme une noble demoiselle qu’elle est ? Monsieur céda, et notre Gilberte fut élevée à Paris, sans que rien fût épargné pour lui donner de l’esprit et des talents ; aussi elle en a profité comme un petit ange, et quand elle eut environ dix-sept ans, je dis de rechef à monsieur :

« — Hé ! hé ! monsieur Antoine ; voulez-vous venir faire avec moi un petit tour de promenade du côté de Châteaubrun ? » Monsieur se laissa conduire : mais quand nous fûmes au milieu des ruines, monsieur fut pris de tristesse.

« — Pourquoi m’as-tu amené ici, Janille ? fit-il avec un gros soupir. Je savais bien qu’on avait détruit mon pauvre vieux nid de famille ; j’avais vu cela de loin, mais je n’avais jamais voulu entrer dans l’intérieur et regarder de près ces dégâts. Je ne tenais pas à ce château par orgueil, mais je l’aimais pour y avoir passé mes jeunes années, pour y avoir été heureux, pour y avoir vu mourir mes parents. Si quelqu’un l’eût acheté pour l’habiter, si je le voyais debout et en bon entretien, je serais à demi consolé, car on aime les choses comme on doit aimer les personnes, un peu plus pour elles-mêmes que pour soi. Quel plaisir peux-tu trouver à me montrer ce que la bande noire a fait de la maison de mes pères ?

« — Monsieur, répondis-je, il fallait pourtant bien venir constater le dommage, pour savoir combien nous avons à dépenser, et comment nous allons nous y prendre pour le réparer. Figurez-vous que, par une mauvaise nuit,