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votre fille n’était pas gentille et proprette comme cela convient à son rang dans le monde ?

— Nous n’avons rien à démêler avec le monde, ma chère Janille, répondit M. Antoine, et je ne m’en plains pas. Ne te fais donc pas d’illusions inutiles.

— Vous avez l’air chagrin en disant cela, monsieur Antoine ? Moi, je vous dis que le rang ne se perd pas ; mais voilà comme vous êtes : vous jetez toujours le manche après la cognée !

— Je ne jette rien du tout, reprit le châtelain ; j’accepte tout, au contraire.

— Ah ! vous acceptez ! dit Janille qui avait toujours besoin de chercher querelle à quelqu’un, pour entretenir l’activité de sa langue et de sa pantomime animée. Vous êtes bien bon, ma foi, d’accepter un sort comme le vôtre ! Ne dirait-on pas, à vous entendre, qu’il vous faut beaucoup de raison et de philosophie pour en venir là ? Allons, vous n’êtes qu’un ingrat.

— À qui en as-tu, mauvaise tête ? reprit M. Antoine. Je te répète que tout est bien et que je suis consolé de tout.

— Consolé ! voyez un peu ; consolé de quoi, s’il vous plaît ? N’avez-vous pas toujours été le plus heureux des hommes ?

— Non, pas toujours ! Ma vie a été mêlée d’amertume comme celle de tous les hommes ; mais pourquoi aurais-je été mieux traité que tant d’autres qui me valaient bien ?

— Non, les autres ne vous valaient pas, je soutiens cela, moi, comme je soutiens aussi que vous avez été en tout temps mieux traité que personne. Oui, monsieur, je vous prouverai, quand vous voudrez, que vous êtes né coiffé.

— Ah ! tu me ferais plaisir si tu pouvais le prouver en effet, reprit M. Antoine en souriant.