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— Oh ! oui ; vous dites comme cela quand on vous écoute, mais si on a le dos tourné, et qu’une petite mouche vous pique, vous prenez des airs de résignation tout à fait déplacés dans votre position.

— Ma position est ce que Dieu l’a faite ! répondit M. Antoine avec une douceur un peu mélancolique. Si ma fille l’accepte sans regret, ce n’est ni toi, ni moi, qui accuserons la Providence.

— Moi ! s’écria Gilberte ; quel regret pourrais-je donc avoir ? Dites-le-moi, cher père ; car, pour moi, je chercherais en vain ce qui me manque et ce que je puis désirer de mieux sur la terre.

— Et moi je suis de l’avis de mademoiselle, dit Émile, attendri de l’expression sincère et noblement affectueuse de ce beau visage. Je suis certain qu’elle est heureuse, parce que…

— Parce que ?… Dites, monsieur Cardonnet ! reprit Gilberte avec enjouement, vous alliez dire pourquoi, et vous vous êtes arrêté ?

— Je serais au désespoir d’avoir l’air de vouloir dire une fadeur, répondit Émile en rougissant presque autant que la jeune fille ; mais je pensais que quand on avait ces trois richesses, la beauté, la jeunesse et la bonté, on devait être heureux, parce qu’on pouvait être sûr d’être aimé.

— Je suis donc encore plus heureuse que vous ne pensez, répondit Gilberte en mettant une de ses mains dans celle de son père et l’autre dans celle de Janille ; car je suis aimée sans qu’il soit question de tout cela. Si je suis belle et bonne, je n’en sais rien ; mais je suis sûre que, laide et maussade, mon père et ma mère m’aimeraient encore quand même. Mon bonheur vient donc de leur bonté, de leur tendresse, et non de mon mérite.

— On vous permettra pourtant de croire, dit M. An-