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n’avoir aucun moyen de réparer ses fautes sans attenter à l’austérité de certains principes que sa mère et son éducation lui imposaient.

La faute était pourtant moins grave que celle d’avoir dépouillé sa propre mère ; mais elle n’apparaissait pas ainsi au duc. Il lui avait toujours semblé que ce qui était à sa mère était à lui, tandis qu’avec son frère la fierté lui rappelait la notion du tien et du mien. Et puis, faut-il le dire ? s’il n’y avait pas d’aversion impie entre deux frères si différents, il y avait au moins absence de confiance et de sympathie. La vie de l’un était une éternelle protestation contre celle de l’autre. Urbain avait fait de grands efforts intérieurs pour que la voix de la nature fût en lui celle de l’amitié. Gaëtan n’en avait fait aucun ; se fiant à l’absence de fiel qui le caractérisait, il s’était cru permis de railler l’austérité du marquis. Ils étaient donc ensemble, la plupart du temps, sur le pied d’un blâme délicatement contenu chez l’un, et d’un persiflage doucement révolté chez l’autre.

— Eh bien ! s’écria le duc en voyant rentrer le marquis, c’est donc un fait accompli ? Je vois à votre figure que vous venez de signer !

— Oui, mon frère, répondit Urbain ; tout est arrangé, et il vous reste douze mille livres de rente que je n’ai pas permis que l’on fît entrer dans la liquidation.

— Il me reste ?… reprit Gaëtan en le regardant en face : non ! vous me trompez, il ne me reste rien ; c’est vous qui, après m’avoir libéré, me faites une pension !