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que, malgré l’étrangeté de sa demande et l’étrangeté plus grande encore de mon consentement, je mis ma main dans la sienne avec confiance. Il la serra doucement et ne la garda qu’une seconde ; mais des larmes lui vinrent aux yeux, et il me dit comme avec un peu d’étonnement : — Merci ! ayez bien soin de ma pauvre mère !

Quant à moi, comprenant enfin que c’était le duc d’Aléria, et que je venais de toucher la main de ce libertin sans âme, de ce fils sans religion, de ce frère sans cœur, en un mot de cet homme sans frein et sans conscience, je sentis que mes jambes ne me portaient plus, et je m’appuyai sur la table en devenant apparemment si pâle, qu’il s’en aperçut et fit un mouvement pour me soutenir en s’écriant :

— Eh bien ! vous vous trouvez mal ?

Mais il s’arrêta en voyant la frayeur et le dégoût qu’il m’inspirait, ou peut-être seulement parce que sa mère venait d’entrer. Elle s’aperçut de mon trouble et regarda le duc comme pour lui en demander la cause. Il ne répondit qu’en lui baisant la main de l’air le plus tendre et le plus respectueux, et en lui demandant de ses nouvelles. Je sortis aussitôt, autant pour me remettre que pour les laisser seuls ensemble.

Quand je rentrai au salon, il était arrivé plusieurs personnes, et je me mis à causer avec une madame de D… qui est très-affectueuse pour moi, et qui me paraît une excellente personne. Elle ne peut cepen-