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tion quelconque contre l’effroi qu’elle lui inspire. Certainement il y a en elle quelque chose de bizarre qui ne paraît pas, mais qui existe au fond de son cœur ou de son cerveau. C’est peut-être une organisation un peu faussée par l’abus des relations extérieures. On ne lui aura pas appris à s’occuper, et peut-être ne peut-elle même pas penser quand elle est seule.

Il est certain que quand j’entre chez elle à midi sonnant, je la trouve toute différente de ce que je l’ai laissée la veille au milieu de son salon. Elle semble vieillir de dix ans chaque nuit. Je sais que ses femmes lui font une longue toilette durant laquelle elle ne leur adresse pas la parole, car elle est fort dédaigneuse des gens dont le langage est vulgaire. Elle s’ennuie tellement de la présence de ces pauvres filles (peut-être aussi a-t-elle des insomnies où elle s’ennuie d’une façon désespérée), qu’elle est comme à demi morte et d’une pâleur effrayante quand je l’aborde ; mais au bout de dix minutes il n’y paraît plus, elle s’éveille, s’excite, et quand le marquis arrive, elle a déjà rajeuni les dix ans de la nuit.

La correspondance, dont je ne dois rien te dire, bien qu’elle n’ait rien de secret, n’est nullement une nécessité de position ni d’intérêts. C’est un besoin qu’elle éprouve de causer avec ses amis absents. C’est, dit-elle, une manière de parler, d’échanger ses idées, qui varie le seul plaisir qu’elle connaisse, celui d’être en communication continuelle avec l’esprit d’autrui.

Soit ! ce ne serait pas mon goût, si j’avais des loisirs