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Mais il me semble que je t’ai assez dépeint le marquis, et que tu peux très-bien te le représenter. Pour répondre à toutes tes questions, je vais te dire comment se passent mes journées.

La première quinzaine a été un peu dure, je te l’avoue maintenant que j’ai obtenu une modification bien nécessaire. Tu sais combien j’ai besoin de mouvement, et comme depuis six ans j’avais une vie active ; mais ici, hélas ! point de maison à ranger et à parcourir cent fois le jour du haut en bas, point d’enfant à promener et à faire jouer, pas même un chien avec qui l’on puisse courir sous prétexte de l’amuser. La marquise a horreur des bêtes ; elle ne sort qu’une ou deux fois par semaine pour monter et descendre en voiture l’avenue des Champs-Élysées. Elle appelle cela faire de l’exercice. Infirme et ne pouvant monter les escaliers que sur les bras d’un domestique, chose qu’elle redoute assez parce qu’une fois on l’a laissée tomber, elle ne rend pas de visites. Sa vie se passe à en recevoir. Toute l’activité, toute la sève de son existence est dans sa tête et beaucoup dans sa parole : elle parle remarquablement bien et elle le sait ; mais elle n’en tire pas de vanité puérile, et songe moins à se faire écouter qu’à épancher les idées et les sentiments qui l’agitent.

C’est, tu le vois, une nature énergique et d’une singulière ardeur d’opinions sur toutes choses, même sur celles qui me semblent à moi fort indifférentes. Elle n’a jamais dû être heureuse, elle en cherche trop