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aurait donc passionnément aimé une femme avant de me connaître, car les aventures frivoles sont incompatibles avec son caractère exclusif, et il y aurait là un mystère important dans sa vie ! La mère vit peut-être encore. Pourquoi suppose-t-on qu’elle soit morte ?

En avançant dans la fièvre des suppositions, elle se retraçait les paroles du marquis sous le cèdre du Jardin des Plantes, et cette lutte qu’il avait laissé pressentir entre son devoir filial et un autre devoir, un autre amour, dont Caroline n’était peut-être pas l’objet après tout ! Qui sait si la vieille marquise n’avait point fait également fausse route, si le marquis avait nommé à sa mère la femme qu’il voulait épouser, si enfin, dans leur trouble, et madame de Villemer et Caroline elle-même n’avaient point passé à côté de la vérité ?

En s’exaltant ainsi malgré elle, Caroline cherchait en vain à se réconcilier avec sa destinée. Elle aimait, et pour elle la plus vive émotion était bien plutôt la crainte que l’espoir de n’être pas aimée.

— Qu’est-ce que vous avez donc ? lui dit Peyraque, qui avait appris à lire ses anxiétés sur son visage.

Elle lui répondit en l’accablant de questions sur ce M. Bernyer qu’il avait vu une fois. Peyraque avait du coup d’œil et de la mémoire ; mais, habituellement pensif et recueilli, il n’accordait son attention qu’aux gens qui l’intéressaient particulièrement. Il fit donc du prétendu Bernyer un portrait si incomplet et si vague que Caroline n’en fut pas plus avancée. Elle dormit mal cette nuit-là ; mais vers le matin elle se calma, et