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son mari la vaut. Il a même plus d’intelligence, quoiqu’il soit plus lent à comprendre ; mais ce qu’il a compris est comme gravé sur un marbre sans tache et sans défaut. Je te jure que je ne m’ennuie pas un instant avec eux. Je pourrais être beaucoup plus seule, car ma petite chambre n’a aucune servitude, et j’y peux rêver sans que rien me dérange mais je n’en éprouve pas souvent le besoin : je me sens bien avec ces dignes gens, je me sens aimée.

« Ils ont d’ailleurs de la vie dans l’esprit, comme la plupart des gens d’ici. Ils s’enquièrent des choses du dehors, et on est étonné de trouver, dans une espèce d’impasse de montagnes si sauvages, des paysans qui ont tant de notions étrangères à leurs besoins et à leurs habitudes. Leurs enfants, leurs voisins et leurs amis me font aussi l’effet d’être intelligents, actifs et honnêtes, et Peyraque me dit qu’il en est ainsi dans des villages encore plus éloignés que celui-ci de toute civilisation.

« En revanche, les habitants des petits groupes de chaumières disséminés dans la montagne, ceux qui ne sont que paysans, bergers ou laboureurs, vivent dans une apathie dont on n’a pas d’idée. L’autre jour, je demandais à une femme le nom de la rivière qui formait à cent pas de sa maison une magnifique cascade. — C’est de l’eau, me répondit-elle. — Mais cette eau a un nom ? — Je vais demander à mon mari ; moi, je ne sais pas ; nous autres femmes nous appelons toutes les rivières de l’eau.