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avec lui, témoignait à celle-ci des égards particuliers. La marquise affectait, pour ne pas lui gâter cette belle journée, de la traiter plus maternellement que jamais, et de faire disparaître toute apparence de servage. Enfin elle était dans un de ces moments de la vie où, en dépit des caprices de la fortune, la puissance naturelle qu’exercent l’intelligence, l’honneur et la beauté semble reprendre ses droits et reconquérir sa place dans le monde.

Mais si Caroline lisait son triomphe sur toutes les physionomies, c’était surtout dans les yeux de M. de Villemer qu’elle pouvait s’en assurer. Elle remarquait aussi à quel point cet homme mystérieux s’était transformé depuis le premier jour où il lui était apparu craintif, absorbé en lui-même et comme jaloux de s’effacer. Il était maintenant aussi élégant de manières que son frère aîné, avec plus de véritable grâce et de distinction réelle, car il y avait toujours chez le duc, en dépit de sa grande science du maintien, un peu de cette pose trop belle et un peu théâtrale qui caractérise la race espagnole. Le marquis était le type français dans toute son aisance sans affectation, dans toute son amabilité bienveillante, dans ce charme particulier qui ne s’impose pas, mais qui s’empare. Il dansait, c’est-à-dire qu’il marchait la contredanse avec plus de simplicité que qui que ce soit ; mais la pureté de sa vie avait mis dans ses mouvements, dans sa figure, dans tout son être, comme un parfum de jeunesse extraordinaire. Il semblait avoir ce soir-là dix ans de