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le rêve par le besoin d’idéaliser la grâce et la beauté, mais encore par la raison, par le jugement et par la certitude d’avoir rencontré cet idéal. Dès lors Caroline fut sauvée ; elle imposa le respect de la sérieuse valeur de son être, et le marquis ne craignit plus de se laisser surprendre par la fièvre de l’égoïsme.

Le duc s’étonna beaucoup d’abord de ce résultat inattendu de leur intimité. Son frère était guéri, il était heureux, et il semblait vainqueur de l’amour par les seules forces de l’amour ; mais le duc était intelligent, et il comprit. Lui-même fut saisi d’une déférence assez sérieuse pour Caroline. Il prit intérêt aux lectures, et peu à peu, au lieu de s’endormir aux premières pages, il voulut lire à son tour et communiquer ses impressions. Il n’avait aucune conviction, mais il se laissait émouvoir et emporter en artiste par celle des autres. Il avait peu lu de choses sérieuses dans sa vie, mais il avait admirablement retenu tout ce qui était dates, noms propres. Il avait donc dans sa bonne mémoire comme un réseau à grandes mailles auxquelles vinrent se rattacher les fils déliés des études de son frère. C’est dire qu’il n’était étranger à rien qu’au sens logique et profond des choses de l’histoire. Il ne manquait pas de préjugés ; mais la forme avait sur lui une puissance qui les faisait taire, et devant une page éloquente, qu’elle fût de Bossuet ou de Rousseau, il éprouvait le même enthousiasme.

Lui aussi se sentit donc agréablement initié aux occupations du marquis et à la société de mademoiselle