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vers l’autre et séparés seulement par des scrupules qui avaient peu d’importance à ses yeux ; mais, selon lui, le marquis compliquait cette situation par des délicatesses bizarres. Si mademoiselle de Saint-Geneix s’abandonnait sans passion, il sentait la sienne s’éteindre, et, en perdant cette passion qui le tuait, il se sentait foudroyé plus vite. C’était une impasse qui désespérait le duc, et où il lui fallait pourtant bien suivre et respecter la pensée et la volonté de son frère. En causant encore avec lui et en tâtant avec précaution toutes les fibres de son âme, il en vint à reconnaître que la seule joie possible à lui donner était de l’aider à deviner l’affection de Caroline et à lui en faire espérer le progrès patient et délicat. Tant que son imagination se promenait dans ce jardin des premières émotions romanesques et pures, le marquis se berçait d’idées suaves et de jouissances exquises. Dès qu’on lui faisait entrevoir l’heure où il faudrait prendre un parti et risquer un aveu, il avait comme un sombre pressentiment de quelque désastre inévitable, et par malheur pour lui il ne se trompait pas. Caroline devait refuser et fuir, ou, si elle acceptait sa main, car l’honneur du marquis n’admettait pas l’idée de la séduire, la vieille mère devait se désespérer, succomber peut-être à la perte de ses illusions.

Le duc était plongé dans ces réflexions, car Urbain commençait à s’assoupir après lui avoir fait jurer qu’il le quitterait pour se reposer lui-même dès qu’il le verrait endormi. Gaëtan s’irritait de ne point trou-