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toute la physionomie de la province. Il n’y aura bientôt plus de provinciaux. Je ne sais pas jusqu’où faudra aller pour en retrouver la graine. Aujourd’hui déjà un bourgeois de campagne n’est pas plus bourgeois qu’un bourgeois du Marais, et un homme du monde trouve partout des salons qui ne sont pas plus bêtes que ceux de Paris. Ce que j’ai vu à la campagne dans ma jeunesse, on ne le rencontrerait plus nulle part.

— Dites-moi donc ce qu’on y voyait.

— On y voyait des types bien tranchés, des bourgeois qui se préparaient trois ans d’avance pour aller passer, une fois en leur vie, tout un mois à Paris. Ils faisaient leur testament, ma chère ! Ceci n’est point une plaisanterie ; je vous en citerai vingt qui vivent encore. Mais ce que j’ai vu le plus intimement dans ce temps-là, ce sont les nobles de campagne, car on les appelait ainsi et pas autrement. C’étaient de bons petits hobereaux qui avaient été forcés de se passer d’éducation sous le régime révolutionnaire, et qui, comme les seigneurs du moyen âge, se vantaient de savoir tout au plus signer leur nom. Ils ressemblaient un peu à des paysans et nullement à des bourgeois ; ils portaient de gros habits, quelquefois des sabots, avec de la poudre par parenthèse ; mais ils n’avaient pas l’allure traînante et l’air hypocrite du paysan. Au contraire, ils étaient rogues, fanfarons, mécontents de l’empire et en colère du matin au soir, ce qui nous divertissait beaucoup, ma sœur et moi. Nous étions des enfants, sans grand souci des choses politiques, et