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gent qu’ils gagnent. Ils amassent pour acheter, et quand l’heure est venue, ils s’enivrent de la joie d’acquérir, achètent trop, empruntent à tout prix et se ruinent. Ceux qui entendent le mieux leurs intérêts se font usuriers et spéculent sur cette rage de la propriété, bien certains que la terre leur reviendra à bas prix quand leur créancier fera banqueroute. C’est pourquoi quelques paysans montent à la bourgeoisie, tandis que le grand nombre retombe plus bas que jamais. C’est le côté triste des lois naturelles, car ces gens-ci sont gouvernés par un instinct presque aussi fatal et aveugle que celui qui fait fleurir les pommiers. Aussi le paysan ne m’intéresse-t-il guère. J’assiste les estropiés, les veuves, les enfants, les innocents ; mais il n’y a pas à se mêler des valides. Ils sont plus têtus que leurs mulets.

— Alors, madame, qu’est-ce qu’il y a d’intéressant ici ?

— Rien ! On y vient parce que l’air est bon et qu’on y refait un peu sa santé et sa bourse. Et puis c’est l’usage ; tout le monde quitte Paris juste au moment où il devient possible. Il faut bien s’en aller quand les autres s’en vont.

Je vis que la marquise s’ennuyait déjà beaucoup, et j’essayai de la distraire en la questionnant. — N’avez-vous pas quelque voisin ridicule à taquiner ici ?

— Hélas ! non, ma chère, il n’y a plus de ridicules, il n’y a plus que des vices ou des désastres. Votre mouvement civilisateur, vos chemins de fer vont détruire