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poisson à la cuisinière, qui le marchanda. Je reconnus ce paysan pour celui qui marchait devant moi le jour de notre arrivée, et qui chantait la chanson des rochers durs. — À quoi pensez-vous ? me dit la marquise, qui vit que je l’observais.

— Je pense, lui répondis-je, à regarder ce brave homme-là. Ce n’est plus un pommier ni une rivière, et cela a une physionomie particulière dont je suis frappée.

— Laquelle, voyons ?

— Mon Dieu, si je ne craignais pas de dire un mot moderne dont vous avez horreur, je dirais que cet homme a du caractère.

— Qu’en savez-vous ? Est-ce parce qu’il s’entête sur le prix de son poisson ? Ah ! j’y suis, pardon !… Du caractère ! vous voyez, le mot a fait calembour dans ma tête ! Je ne me souvenais plus que c’était un mot d’auteur… ou de peintre ! Une étoffe, un banc, une marmite, ont à présent du caractère, c’est-à-dire qu’une marmite a la tournure d’une marmite, qu’un banc a bien l’air d’un banc, et qu’une étoffe fait l’effet d’une étoffe ? Ou bien est-ce le contraire ? l’étoffe a-t-elle le caractère d’un nuage, le banc celui d’une table et la marmite celui d’un puits ? Jamais je n’admettrai votre mot, je vous en avertis ! — Et puis elle me parla des paysans de l’endroit. — Ce ne sont pas de mauvaises gens, dit-elle, pas tant fourbes que patelins. Ils sont avides d’argent, parce qu’ils manquent de tout ; mais ils ne se donnent rien avec l’ar-