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cahoter ni bondir déraisonnablement. La route aussi est unie et sablée comme une allée de jardin, et bordée de hêtres magnifiques, à travers lesquels on voit se dérouler des prairies naturelles qui sont en ce moment des tapis de fleurs. Ah ! les beaux prés, ma chère Camille ! Comme cela ressemble peu à nos prairies artificielles où l’on voit toujours la même plante sur une terre préparée en plates-bandes régulières ! Ici on sent qu’on marche sur deux ou trois lits de végétation avec de la mousse, des joncs, des iris, mille espèces de gramens plus jolis les uns que les autres, des ancolies, des myosotis, que sais-je ? Il y a de tout, et cela vient tout seul, et cela vient toujours. On ne retourne pas la terre tous les trois ou quatre ans pour mettre les racines en l’air et pour recommencer ce ratissage éternel qu’exigent nos terres paresseuses. Et puis ici on perd du terrain, on cultive mal, à ce qu’il paraît, et dans ces coins abandonnés à eux-mêmes la nature s’en donne à cœur joie de se faire belle et sauvage. Elle vous jette de grandes ronces qui n’en finissent pas et des chardons qui ont l’air de plantes d’Afrique, tant ils étalent de larges et rudes feuilles déchiquetées, d’un port et d’un dessin admirables.

Quand nous avons traversé la vallée, je te parle d’hier, nous avons gravi une montée très-roide et très-escarpée. Le temps était humide, vaporeux, charmant. J’ai demandé à marcher, et à cinq ou six cents pieds de hauteur j’ai vu l’ensemble de ce beau ravin de verdure. Les arbres se pressaient loin déjà sous