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JENNY — Elle est bonne, je te jure qu’elle est bonne !

MYRTO. — Une coquette n’est pas bonne. Je veux la voir, la juger, lui pardonner, ou lui donner une bonne leçon, selon qu’elle se conduira bien ou mal avec moi.

JENNY. — Tu veux la voir ? Y songes-tu ?

MYRTO. — Pourquoi pas ?… Parce qu’elle est comtesse et que je ne le suis pas ? Elle a eu de la chance, voilà tout ! mais j’aurai celle de la mortifier si elle me reçoit mal. J’ai de ses nouvelles, vois-tu, et je peux lui en faire avaler, des couleuvres !

JENNY. — Toi ? je t’en défie !

MYRTO. — Tu te fâches ? tu fais ta comtesse aussi, toi, camériste ?… Nous verrons, nous verrons !

JENNY. — Céline, je t’en prie, sois raisonnable, sois bonne ! pour les autres, pour toi-même, pour moi, qui étais ta camarade préférée. Tu oublies donc que tu m’aimais un peu ?

MYRTO. — Ah ! c’est que tu étais si bonne ! Non, je ne l’oublie pas. Aussi, toi, pauvre fille, sois tranquille, ce n’est pas de vous autres que nous sommes jalouses !… Mais j’entends le pas d’un cheval… c’est mon marquis ! Va-t’en, Jenny, si tu ne veux pas qu’il te voie.

JENNY. — Je me sauve ; et que dirai-je à madame ?

MYRTO. — Tout ce que je t’ai dit.

JENNY. — Je n’oserai jamais !

MYRTO. — Si tu ne le lui dis pas, ce sera pire !




SCÈNE IX


Sur le chemin de Mireville à Noirac.

JENNY, seule, marchant vite. — Je vous avoue que j’ai peur… Je ne suis pas habituée à marcher comme cela, le soir, dans la campagne, et je crains toujours de m’égarer. Si je voyais un loup, je perdrais la tête ; mais on dit qu’il n’y en a pas dans ce pays-ci. Il fut un temps où j’aurais été avec vous à