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plus de fruit, nous le ferions de bon cœur. Est-ce que vous ne voudriez pas labourer un peu plus pour nous faire mieux dessiner ?

PIERRE. — C’est ça des bonnes raisons, et si chacun en disait autant… Mais je ne vois pas comment ça arrangerait les choses.

DAMIEN. — Ni moi non plus ; mais quand on n’est pas plus savant que vous et nous dans ces choses-là, savez-vous ce qu’on fait ?

PIERRE. — Nenni, ma foi !

DAMIEN. — On tâche de s’élargir le cœur pour y faire entrer les bonnes intentions.

PIERRE. — Ah ! dame, on est si bête, nous autres gens de campagne !

MAURICE. — Non, non ! vous faites semblant. Vous avez des idées fausses souvent, mais vous n’êtes pas bêtes du tout, et ce qu’on vient de vous dire ne vous paraît pas faux.

PIERRE. — Qu’il faut penser à tout le monde, et pas à soi tout seul ?

DAMIEN. — Vous voyez que vous comprenez bien !

PIERRE. — Dame ! ça, c’est une vérité, et je sais bien qu’il faudrait être juste et franc chrétien. Mais on est toujours trompé ! On nous promet toujours et on ne nous tient jamais !

EUGÈNE. — On vous rend maîtres de votre sort, et vous ne savez pas l’être !

PIERRE. — Puisqu’on ne sait pas comment faire ! C’est-il notre faute, à nous ?

DAMIEN. — Pas tout à fait, mais beaucoup.

PIERRE. — J’entends bien, on devrait chercher à s’instruire ; mais ça fâche les nobles !

MAURICE. — Et vous ne voulez pas les fâcher ?

PIERRE. — Non, tant qu’ils seront maîtres ! Mais après… oh ! dame !… on leur dira tout !

DAMIEN. — Vous aurez du courage quand vous n’aurez plus peur, n’est-ce pas ? Eh bien, il aurait mieux valu savoir leur résister franchement, que d’être forcé d’en venir à les menacer tout bas.