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tranquilles, intimes, qui ne font envie à personne, et dont nous nous lassons si peu qu’il nous faut toujours un rude effort pour nous en arracher quand la saison du loisir est finie !

EUGÈNE. — Oui, oui, profitons-en, et ne laissons pas perdre une miette de notre loisir occupé et de notre bohême champêtre ! Ma foi, c’est notre âge d’or. Vienne la vie sérieuse, et qu’elle soit ce qu’elle voudra, nous lui ferons face, et s’il faut souffrir, plus avancés que bien d’autres, nous pourrons nous dire que nous avons été heureux.

DAMIEN. — Alors, vivent les arts ! vivent la navigation, la liberté, le soleil, la jeunesse et l’amitié ! Faisons un serment : c’est, quand arrivera quelque débâcle sociale pire pour les ouvriers et les artistes que celles que nous avons déjà subies, de ne pas nous séparer, d’associer nos travaux, nos efforts, nos soucis et nos ressources.

MAURICE. — Ça va !

EUGÈNE. — J’en suis.

DAMIEN. Que ferons-nous ? Voyons ! Toi, Maurice, qui es un petit propriétaire avec pignon sur plaine et cuve au cellier, tu auras les dents aussi longues que nous, si l’agriculture chôme comme les arts et métiers. Un moment peut venir où la bohême s’ouvrira pour tout de bon devant nous, un moment que beaucoup de gens regardent comme très-prochain. Avisons à travers cette bohême honorable en braves enfants et en gentils troubadours.

EUGÈNE. — Il pourra bien se faire qu’en fait de guitare, on nous envoie à la frontière avec un fusil de munition sur l’épaule.

MAURICE. — Soit, nous connaissons tous cette clarinette, en France, à l’heure qu’il est ; mais enfin, si la chose tourne autrement, et si la faim est pour nous, comme elle l’est déjà pour tant d’autres bons garçons, le grand Cosaque qui nous flanquera sa lance dans l’estomac… il est certain que nos arts chéris, utiles dans les temps de prospérité, seront mis un moment sous la remise comme choses de luxe !