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FLORENCE. — Il a manqué à sa parole, c’est un grand mal.

JENNY. — Il l’avait donnée imprudemment.

FLORENCE. — Ce n’est guère mieux.

JENNY. — Laissez-le tranquille, ne le blâmez pas ; cela ne raccommode rien et me fait de la peine.

FLORENCE. — Savez-vous, mademoiselle Jenny, que si vous n’êtes pas un ange, votre figure est bien trompeuse ?

JENNY. — Ma figure ? Il fait nuit, vous ne la voyez seulement pas.

FLORENCE. — Mais je l’ai vue ce matin, et je l’ai vue là-bas, au comptoir ; je l’ai beaucoup regardée, et, comme vous n’y faisiez pas la moindre attention, cela m’était bien permis.

JENNY. — Bonsoir, monsieur Florence. Il se fait tard, et vous vous levez matin, j’imagine ?

FLORENCE. — Mademoiselle Jenny, je vous dis ces choses-là simplement, amicalement, et sans songer à vous faire la cour. N’ayez donc aucune méfiance de moi. Je sais que vous avez aimé, que vous aimez encore, et que je ne persuaderais pas votre cœur. Croyez-moi assez honnête homme pour n’avoir pas l’idée de vous séduire par des compliments ; ce serait m’adresser à votre vanité et compter sur un vice de l’âme que vous n’avez pas.

JENNY. — En vérité, monsieur Florence, vous me rendez confuse. C’est vrai, j’ai cru que vous vouliez me faire la cour ; cela me fait peur et me rend triste à présent, l’idée qu’on peut vouloir s’occuper de moi ! Mais je vois, à la manière honnête dont vous me parlez, que je n’ai pas à me méfier de vous.

FLORENCE. — Vous auriez grand tort. Une femme belle et pure, qui sait aimer et pardonner, m’inspire un grand respect, et je ne suis pas un libertin pour désirer de lui tourner la tête sans posséder son affection.

JENNY. — C’est très-bien dit. Je crois que vous avez beaucoup plus d’esprit que moi, mais j’ai assez de cœur et de sincérité pour comprendre des choses que je ne saurais pas dire. Et maintenant, puisque nous voilà sans méfiance,