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certaine, c’est que je me sens humiliée auprès de toi d’être ce que je suis !… Tiens, ne me parle plus de ton Gustave, jamais.

JENNY. — C’est comme vous voudrez. Voulez-vous que je m’en aille, madame ?

DIANE. — Non, reste encore, redonne-moi du thé, ce vin chaud m’altère… Non, allume-moi un cigare… un gros cigare, et parlons d’autre chose.

JENNY. — Ah ! si cela vous était égal, je m’en irais ; votre gros cigare me donne la migraine.

DIANE. — Allons donc, petite-maîtresse ! il faut t’y habituer. Nous ne sommes plus au temps des marquises ambrées et musquée ? Tu es avec une lionne, et une lionne sent le tabac et l’écurie, il n’y a pas à dire.

JENNY. — C’est bien drôle ; mais de quoi voulez-vous que je vous parle, si ce n’est de mon amour ?

DIANE. — Je t’ai écoutée assez longtemps sur ce chapitre-là ; parle-moi du mien.

JENNY. — De votre amour, à vous ?

DIANE. — Eh bien, oui ; on dirait que tu n’y crois pas ?

JENNY. — Je ne dis pas ça, mais je n’y comprends rien.

DIANE. — Tiens ! tu me donnes envie de rire.

JENNY. — Riez, madame, si ça peut vous égayer.

DIANE. — Ah ! tu dis là une bêtise qui a un grand sens, ma pauvre Jenny, et qui me donne envie de pleurer.

JENNY. — Ah ! mon Dieu ! est-ce que vous avez du chagrin aussi, vous, madame ?

DIANE. — Je crois que j’en ai plus que toi.

JENNY. — Est-ce que vous n’aimez pas M. Gérard de…

DIANE. — Ne me dis pas son nom. Il a un grand nom nobiliaire, et c’est là une des choses dont je me suis sottement éprise ; à présent que je me suis habituée à l’idée de le porter, ce nom m’ennuie. Je le trouve bête. Comment s’appelait-il, ton Gustave ?

JENNY. — Oh ! il avait un joli nom, lui ! il s’appelait Baluchon. Vous riez ?

DIANE. — Baluchon ! ah ! que tu m’amuses !