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JENNY. — Je l’espère aussi, et je ne vous flatterai jamais. Je dis que vous êtes bonne, parce que vous avez un bon cœur.

DIANE. — Ce qui veut dire que j’ai une mauvaise tête ! Allons, ôte-moi donc mon amazone ! j’étouffe !

JENNY. — Oh ! oui, vous avez chaud ! Il fait cependant bien frais, ce soir ; et moi, j’ai les mains gelées ; je n’ose pas vous toucher. Vous avez donc bien galopé ?

DIANE. — Pendant plus d’une lieue sans souffler. Arrange-moi mes cheveux.

JENNY. — C’est drôle que ça vous amuse de courir comme ça avec votre amoureux, au lieu de causer bien doucement, bien tendrement, de votre prochain mariage ?

DIANE. — Tu te figures qu’on ne doit penser qu’à cela, toi !

JENNY. — Dame ! c’est assez sérieux pour y penser ! Et à quoi pouvez-vous songer tous les deux, quand vous courez comme le vent, à travers les bois ?

DIANE. — C’est justement pour ne pensera rien que je galope, et c’est parce que le mariage est un sujet sérieux que je n’y veux pas penser. Fais attention ! tu me tires les cheveux…

JENNY. — C’est bien étonnant, votre manière d’aimer !

DIANE. — Comment l’entendrais-tu, toi ? Voyons !

JENNY. — Oh ! comme je l’entendais avec mon pauvre Gustave ! Je ne me disais pas, comme vous, qu’une fois mariés nous aurions bien le temps de nous voir et de nous parler. Il me semblait que la vie ne serait jamais assez longue pour nous regarder, nous écouter, et rien qu’à me sentir les mains dans les siennes, j’aurais passé un an, bah ! une éternité, sans songer à bouger de place. Ah ! je n’aurais pas eu besoin de chevaux, de voiture, de mouvement, moi ! Je ne me serais souvenue ni de boire, ni de manger, tant qu’il était là !

DIANE. — Aussi tu l’as ennuyé, ton pauvre petit commis de magasin, et il t’a plantée là un beau matin.

JENNY. — C’est possible ! mais je ne comprends pas encore comment ce qui me rendait si heureuse a pu l’ennuyer… On a donc tort de trop aimer !