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FLORENCE. — C’est vrai : le mariage nous fait revêtir un caractère plus grave et plus difficile à porter.

GÉRARD. — Eh bien, quel doit-il être, ce nouveau caractère ? Trompés, nous sommes ridicules ; complaisants, nous sommes vils ; jaloux, nous sommes insupportables ; vindicatifs, nous sommes odieux, et encore ridicules, par-dessus le marché, puisque nous publions notre mésaventure. Je ne vois pas le moyen d’être marié avec une femme légère et capricieuse sans devenir la victime du préjugé ou la proie du désespoir.

FLORENCE. — Je ne le vois pas non plus ; mais cela n’empêchera ni vous ni les autres de s’y exposer. Le mariage n’est pas susceptible d’améliorations sérieuses dans une société où règnent tant d’inégalité et tant de corruption ; et cependant le mariage est nécessaire, puisque sans lui point de famille. L’homme et la femme aimeront donc mieux passer par tous les risques d’un prétendu déshonneur et d’un malheur réel, que de renoncer aux joies et aux tourments de la famille. Si vous n’épousez pas madame de Noirac aujourd’hui, vous épouserez plus tard une autre femme du monde avec qui vous vous exposerez peut-être à de plus de mauvaises chances.

GÉRARD. — C’est vrai, cela, Marigny ! Que faut-il donc faire pour souffrir et rougir le moins possible en subissant les lois et les mœurs d’une société qui ne peut changer ?

FLORENCE. — Vous qui êtes précisément de ceux qui ne veulent rien y changer, vous devez être d’autant plus patient à supporter les maux qu’elle engendre. Eh bien, en me plaçant à votre point de vue, je ne vois que deux partis à prendre dans le mariage, en cas de jalousie fondée : ou être odieux à votre femme, et ridicule en même temps aux yeux du monde par vos fureurs ; ou la quitter sans bruit, et vous préserver ainsi d’assumer sur vous la responsabilité de ses fautes.

GÉRARD. — Et si on a des enfants ! Ici la loi n’a pas de lettre fixe : tantôt elle les adjuge au plus digne et tantôt au plus riche ; et il faut que la loi décide des cas, moyennant