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offices des fêtes et dimanches ; mais la religion n’entre point dans nos intérêts particuliers. Mêmement le curé prêche que notre bonheur n’est point de ce monde et que nous y avons été mis pour souffrir. C’est bien dit, mais trop est trop ; et comme nous sommes misérables, que le travail est dur, et qu’en fin de compte, quand il faut payer sa ferme au bout de l’an, ni le maître ni le prêtre ne vous en dispensent, les anciens, qui étaient plus sages que nous, ont bien connu qu’il fallait laisser le gouvernement de l’âme à Dieu, et celui du corps… à l’autre.

PIERRE. — Qui donc, l’autre ? Le…

GERMAIN. — Tais-toi. Ça porte malheur de le nommer.

PIERRE. — Mais c’est le mauvais esprit !

GERMAIN. — Oui, c’est un esprit fou et malicieux qui a reçu commandement de nous faire souffrir, de nous contrarier, de nous attirer toute la peine et tous les dommages que nous avons.

PIERRE. — Eh bien, il faut le conjurer, au lieu de l’appeler.

GERMAIN. — C’est ce que je t’enseigne. Lui faire peur, ça ne se peut pas : il est plus fort que nous. Le prier, ça serait impie ; se donner à lui… il y en a qui le font et qui se damnent ; mais on peut l’apaiser et s’entendre avec lui pour qu’il vous épargne en prenant quelque chose aux autres. Ainsi, tu as un bœuf malade, tu peux faire que… (Il lui dit le nom à l’oreille.) envoie sa maladie sur celui d’un autre fermier plus riche que toi et qui peut bien perdre son bœuf. Ta mère sait attirer le lait des bonnes vaches qu’elle voit passer, dans le pis des siennes. Tout ça se fait par des cérémonies comme celle que je te dis, et ça, c’est le culte de l’autre : un mauvais culte, j’en conviens, mais digne de celui à qui on l’offre, et on n’en est pas moins chrétien pour ça.

PIERRE. — J’entends bien ; mais si le curé le savait !

GERMAIN. — Le curé sait bien qu’il faut fermer les yeux sur beaucoup de choses. Et d’ailleurs le curé fait sa conjuration aussi à sa mode, et de tous les sorciers, c’est encore lui qui est le plus sorcier.

PIERRE. — Comment ça ?