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GÉRARD. — Ma foi, non, jamais ! Comment diable aurais-je du respect pour l’homme qui me permet à toute heure d’en manquer à son égard ? Si j’avais des domestiques comme vous, ce serait différent. Je crois bien que, du caractère dont je suis au fond, ils seraient vite mes maîtres ; mais comme cela n’est pas…

FLORENCE. — Comme cela n’est pas encore, vous ne voulez pas que cela puisse jamais être ? Et tenez, cela ne sera jamais, tant qu’on croira qu’un homme titré, riche ou intelligent (je mets dans le même sac ces trois aristocraties) a des droits matériels sur son semblable. Il n’en a pas, croyez-moi ; les hommes lui en donnent, mais Dieu ne les sanctionne pas.

GÉRARD. — Oui, je sais, je connais ça. J’ai entendu soutenir cette thèse ! C’était fort beau, fort bien dit. J’ai lu aussi quelques ouvrages là-dessus. La conclusion était que l’homme le plus vertueux et le plus intelligent devait se dévouer plus que tous les autres, et ne commander à personne. Ma foi, je trouve cela un peu fort, et je n’y comprends rien.

FLORENCE. — Vous n’avez pas voulu comprendre. Commander, au nom de la vérité qu’on possède, à des hommes qui l’acceptent, c’est commander comme je l’admets, d’une façon légitime et tout à fait fraternelle ; mais, selon vous, commander c’est s’emparer, par droit de naissance, d’un pouvoir absolu qui n’a plus de contrôle, plus de frein, plus de terme. Cela, nous le repoussons de toutes nos forces, de toute notre raison, de toute notre dignité, et nous disons que l’homme le plus pauvre, le plus ignorant, le plus faible et le plus inepte a le droit de refuser sa sanction à l’autorité de celui qui n’est pas forcé, par les lois divines et humaines, de s’en servir au profit de tous, même à celui des faibles, des pauvres, des ignorants et des imbéciles ; voilà ce qu’on vous a dit et ce que vous avez lu ; mais il ne dépend pas de vous de vous y rendre. On vous a nourri, dès le jour de votre naissance, d’une idée contraire, et je ne me flatte pas de vous en faire changer. Adieu, Mireville ; nous