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Je pense à l’homme d’hier, à l’homme que j’ai connu autrefois… et, ma foi, si cela ne vous fâche pas, je vous confesse que je vous crois, en effet, jardinier à Noirac.

FLORENCE, riant. — Alors, vous allez me demander d’où je viens si matin, et m’ordonner de vous tenir l’étrier pour remonter à cheval ?

GÉRARD. — Non pas, mon cher ! Je puis être une bête, mais je ne suis pas un sot, et le souvenir que j’ai gardé de vous, souvenir que rien dans vos manières actuelles ne dépare, me fera toujours vous regarder comme mon égal… Bah ! nous vivons dans un temps où il faut bien se dire que la vraie supériorité, c’est celle de l’esprit, et, comme vous en avez plus que moi, vous pouvez bien vous regarder comme mon supérieur. Cela ne me fâchera pas, vous voyez bien que je suis plus démocrate que vous.

FLORENCE. — Vous, démocrate, Mireville ? Vous ne le serez jamais. Avec la meilleure volonté du monde, vous ne pouvez pas l’être. Forcé d’avouer que l’intelligence est plus forte aujourd’hui que la naissance pour remuer le monde, vous passez d’une erreur à une autre. Vous croyez que l’intelligence crée, de droit, une supériorité de fait.

GÉRARD. — Ah ! par exemple, si vous niez cela, si vous vous croyez l’égal de votre confrère Cottin, par exemple, ou d’Antoine, mon domestique…

FLORENCE. — Oui, je me crois, je me sens leur égal devant Dieu, et c’est pour cela que je n’ai pas de répugnance à me faire domestique…

GÉRARD. — Vous l’êtes donc, décidément ?

FLORENCE. — Je m’étonne de votre obstination à en douter.

GÉRARD. — Eh bien, passons !… Vous n’êtes pas, pour cela, l’égal des autres domestiques, car il n’y en a pas un seul qui ne soit une brute auprès de vous.

FLORENCE. — Vous vous trompez, peut-être. Est-ce que vous les connaissez vos domestiques ? Est-ce que vous les interrogez avec le respect qu’on doit à son semblable ? Est-ce qu’ils peuvent vous répondre avec confiance ? Jamais.