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GÉRARD. — Eh bien, oui ; pour aller dans le monde, il faut être quelque peu riche, parce qu’il y faut une certaine apparence et une certaine libéralité. Je comprends donc que vous l’ayez quitté ; mais je dis que vous avez toujours le droit d’y reparaître et de traiter d’égal à égal avec tous ceux qui en tout partie.

FLORENCE. — Pourquoi donc me traitiez-vous si cavalièrement tout à l’heure, en me demandant qui j’étais, d’où je venais, et en me priant, d’un ton très-impérieux, de vous ramasser votre cravache ?

GÉRARD. — Je vous l’ai dit : ce n’est pas à vous que je parlais Je vous prenais pour le jardinier de Noirac. C’est un beau garçon, et qui a l’air distingué.

FLORENCE. — Eh bien, si j’étais maintenant jardinier à Noirac ?

GÉRARD. — Allons donc, mon cher, vous plaisantez !

FLORENCE. — C’est comme vous voudrez, mon cher ; mais vous ne me répondez pas.

GÉRARD. — Je ne peux pas répondre à une supposition comme celle-là !

FLORENCE. — Est-ce que vous croyez que je dérogerais, moi, fils de jardinier, si je me faisais jardinier ?

GÉRARD. — Non certes. Jardinier pour votre compte, sur une terre à vous !…

FLORENCE. — Vous voulez dire un terrain ! Et si je n’avais pas le moyen de l’acheter, ce terrain ? ne serais-je pas forcé d’accepter une fonction rétribuée dans une maison particulière ?

GÉRARD. — Mais quand on est instruit comme vous l’êtes, on est journaliste, homme de lettres, spéculateur, artiste, que sais-je ? Mais on ne se fait pas jardinier, que diable !

FLORENCE. — Et si on a reconnu qu’on n’avait ni le goût ni la facilité d’écrire ; qu’on n’avait pas d’aptitude pour l’agiotage, et qu’en fait d’art, la botanique et l’horticulture étaient une vocation ?

GÉRARD. — Alors, je ne vous dis plus rien, je ne sais que vous dire… Vous me troublez un peu. Je vous regarde…