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comme la privation excite l’envie de paraître et de posséder ! Et comme le mariage entre pauvres est triste ! Mettre au monde des enfants condamnés à mourir de faim ! Ah ! la famille avec la misère, c’est l’effroi et le désespoir à envisager !…

JACQUES. — Je sais tout cela, mon enfant ; je l’ai souvent observé : j’y ai beaucoup réfléchi. Tout ce qui peut, non pas vous absoudre, mais vous excuser, je me le suis dit probablement plus souvent que vous.

MYRTO. — Ah ! oui, vous êtes un philosophe, vous, on me l’a dit ! un bon philosophe, pas pédant, très-humain. Je vous ai parlé comme une impertinente, hier matin, en traversant votre jardinet. Je vous en demande bien pardon. Je ne suis pas maintenant ce que j’étais il y douze heures. J’ai bien changé, bien vieilli, allez ! Je n’ai pas encore réfléchi, je ne sais pas réfléchir, moi, mais j’ai bien souffert !

JACQUES. — Vous avez aimé, et pour la première fois peut-être ? Prenez garde à votre réponse, Myrto ; ne mentez pas. Je sais les accès de lassitude, d’effroi ou d’attendrissement auxquels ne peuvent résister les femmes qui s’étourdissent trop à l’habitude ; mais je sais aussi que dans ces moments-là elles exagèrent et mentent sans en avoir conscience, aux autres et à elles-mêmes. Leur thème favori, dont elles abusent souvent pour surprendre la bonne foi des hommes compatissants ou romanesques, c’est de dire qu’elles n’ont encore jamais aimé, et qu’un amour vrai ferait d’elles des Madeleines repentantes. Ne dites pas de ces choses-là si vous ne les sentez pas bien vraies. Là serait la profanation, la lèpre du péché incurable.

MYRTO. — Eh bien, vous avez raison, monsieur Jacques ! Je ne peux rien dire, je n’ai pas le droit de me repentir et de me confesser : je dois souffrir et me taire… (À Florence, qui est entré.) Ah Dieu ! c’est vous ! Je ne vous ai pas entendu venir, et vous m’avez fait peur ! Ah ! c’est que j’ai bien peur de vous, allez !

FLORENCE. — N’ayez pas peur de moi ; vous pouvez parler devant moi comme vous parliez devant monsieur Jac-