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vous aime ; vous qui n’êtes plus rien, vous qui n’avez plus rien, quel intérêt puis-je avoir à vous tromper ?

FLORENCE. — Vous trouveriez divertissant… voyons, excitant, intéressant, de troubler la raison d’un homme sage, parce que vous avez vu qu’il y avait en lui un cœur aimant ? Vous croyez que l’amour s’éveillerait en lui dans le délire, et qu’au milieu du plaisir vous entendriez enfin un cri de l’âme qui vous donnerait une jouissance nouvelle ?

MYRTO. — Ah ! si je l’avais entendu une seule fois, ce cri de l’âme, ce mot du cœur, je ne serais pas ce que je suis !

FLORENCE. — Vous mentez, Myrto, vous l’avez entendu plus d’une fois. Plus d’une fois on a essayé de vous aimer. Il n’est pas une de vous qui n’ait inspiré une passion vive à quelque enfant naïf et pur, trompé par l’ardeur de la jeunesse et le besoin d’aimer. L’ami dont nous parlions tantôt vous a aimée follement et sincèrement, je le sais. À cette époque de votre vie, il vous eût encore été possible de sentir le prix d’une affection vraie, et vous l’avez quitté pourtant pour un homme plus riche ! Ne jouez donc pas avec ce mot sacré que vous avez foulé aux pieds, l’amour ! Il peut vous inspirer encore des moments de curiosité, parce que ce n’est pas sur la passion vraie que vous êtes blasée ; mais il ne dépend plus de vous d’embrasser ce beau rêve, et vous devez le laisser à celles qui ne l’ont pas profané.

MYRTO. — Florence, je vois que c’est un parti pris de me faire souffrir. Ah ! vous me tuez ! Je ne sais pas si tout cela est vrai ; je ne sais pas si mon cœur est mort, mais il se brise en vous écoutant. Votre regard, votre voix me fascinent ; il me semble que je vais me mettre à vos genoux pour vous supplier, non pas comme vous le croyez, de me donner du délire, mais de m’accorder un peu de consolation et de pitié. Voyons, que faut-il donc faire pour vous prouver que j’ai du repentir et du chagrin ?

FLORENCE. — Je vous l’ai dit. Il faut d’abord renoncer à une mauvaise action, étouffer en vous un instinct de méchanceté détestable.