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RALPH. — Je ne sais ce que c’est ; à sa couronne de paillons, je le prendrais bien pour un roi… mais un roi pendu en effigie, ce serait hardi… sous la république !

JACQUES. — Cette marionnette est jolie. Ce n’est pas un roi de la terre, cela. C’est le roi des enfers en personne. Ce doit être l’ouvrage de ces jeunes gens qui demeurent ici près, dans la grande vieille maison dont vous aimez la façade couverte de lierre. C’est un ancien prieuré où, sous prétexte de retraite, les moines du siècle dernier faisaient bombance.

RALPH. — Si je me fixais par ici, cette retraite me plairait. Elle n’est pas disponible ?

JACQUES. — Non ! C’est, avec quelques arpents de terre, le patrimoine d’un enfant du pays, Maurice Arnaud, dont le père, cultivateur aisé, avait acheté cela à l’époque de la division des biens du clergé. Il s’occupe de peinture, et, tous les ans, vers cette saison, il amène de Paris un ou deux amis pour partager ses loisirs. Ils vivent là gaiement et simplement. Dans le village on les appelle les artistes, sans bien savoir ce que cela veut dire. Pour nos paysans, je crois que c’est presque synonyme de baladins, et si on ne les aimait un peu, je crois qu’on les mépriserait beaucoup. Le paysan d’ici ne comprend d’autre travail que celui de la terre.

RALPH. — Mais à quel propos cette marionnette pendue à un arbre ?

JACQUES. — Ah ! cela, je n’en sais rien ; mais je sais qu’ils ont construit, pour s’amuser, un théâtre de fantoccini, où ils improvisent quelquefois entre eux, le soir, des scènes fort plaisantes, à ce qu’on assure. Nous irons les entendre un de ces jours, si vous voulez.

RALPH. — Je ne les connais pas !

JACQUES. — Vous ferez connaissance. Ce sont des fous ou plutôt des enfants, et cependant…

RALPH, mettant le diable dans sa poche avec distraction. — Et cependant un dogme est nécessaire à une religion. Voilà pourquoi on ne fait pas une religion nouvelle. Toutes perdent leur origine dans la nuit des temps. Ces traditions sont bizarres et merveilleuses, parce qu’elles sont des symboles.