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DIANE. — En vérité ? quelle imagination ! Au fait, c’est un homme à jouer tous les rôles, ce garçon-là ! Il est rempli d’esprit, il parle comme on parlerait dans le monde, si on y parlait bien… Il a des manières… une figure !… Oui, il est charmant… et il m’est déjà dévoué à ce point ?

JENNY. — Il ne faut peut-être pas un grand dévouement pour faire la cour à Céline. Elle est jolie et elle a beaucoup d’esprit.

DIANE. — Qu’as-tu ? tu as l’air de souffrir, toi ?

JENNY. — J’ai la migraine. Oh ! ce n’est rien.

DIANE. — Tu me fais peur !

JENNY. — Pourquoi donc ?

DIANE. — C’est que ce jeune homme peut bien, tout en voulant séduire cette fille, se laisser séduire par elle et se mettre avec elle contre moi.

JENNY. — Non, madame. Qu’il se laisse séduire… cela ne nous regarde pas ; mais qu’il vous trahisse, c’est impossible : il est trop honnête homme pour cela.

DIANE. — Comment le sais-tu ? Tu ne le connais pas plus que moi.

JENNY. — Oh si ! j’en suis sûre… je le connais déjà !

DIANE. — Tu le connaissais avant qu’il vînt ici ? Attends donc, moi aussi !… Cela me frappe tout d’un coup ! Je l’ai vu dans ton magasin. Un beau commis, là… pas ridicule, très-poli, point bavard… Je l’avais remarqué ! Comme un autre costume, une barbe changée modifient un visage !.… Mais il n’y a pas deux mois que j’ai vu ce jeune homme-là venir chez moi à Paris. Tiens, c’est lui qui m’a trouvé les rubans que je voulais pour ma robe de satin broché… ma robe bleue… il a un goût exquis ! Mais pourquoi est-il jardinier à présent ?

JENNY. — C’est un état qu’il préfère aux autres.

DIANE. — Et il s’y entend, cela se voit. Il arrange mes jardinières avec un art ! Brave jeune homme ! et mon intendant m’a dit qu’il s’était montré fort délicat et peu avide d’argent dans ses conditions pour entrer ici. Jenny, je veux le voir aussitôt qu’il rentrera, et s’il apporte ces fatales lettres… ah !