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riche, ayant des chevaux, allant aux Italiens, etc., etc. ; et il joue son rôle, lui ! Il fait le lion, le dandy, c’est superbe à voir.

JENNY. — Mon Dieu ! comme cela m’étonne, tout ce que vous me dites là !

EUGÈNE. — Et elle se figure qu’il est ici sous un faux nom, sous un déguisement, et qu’il est au mieux avec madame de Noirac. Il fait le jaloux et il demande que les lettres lui soient confiées, afin de les montrer à monsieur Gérard. Oh ! c’est intrigué comme une comédie !

JENNY. — Et elle va lui donner les lettres ?

EUGÈNE. — Ah ! voilà le hic ! elle se méfie. Elle est parfois au moment de tout croire, et puis elle s’aperçoit, car elle est fine, qu’on se moque d’elle. Mais il regagne toujours autant de terrain qu’il en a perdu ; et comme nous avons vu, en fin de compte, que ce prétendu millionnaire l’occupait beaucoup plus que nous, et que nous n’aurions pas beau jeu tant qu’il ne serait pas redevenu jardinier, nous les avons laissés ensemble dans une conversation fort animée, et après beaucoup de Champagne bu de part et d’autre.

JENNY. — Ah !… ils boivent du champagne ?

EUGÈNE. — Nous avons tous commis ce crime, et je crois que cela me rend un peu expansif, car il n’était peut-être pas nécessaire de vous dire tout cela.

JENNY. — Si, si, je suis bien aise de le savoir. Est-ce que vous y retournez ?

EUGÈNE. — Non pas ! Comme nous commencions à nous griser et à employer des ficelles un peu trop grosses, il nous a priés, dans la vue du succès de la pièce, de rentrer pour quelque temps dans la coulisse, et nous allons faire un tour de promenade en bateau, car il n’y a pas moyen de travailler après le champagne ! Cette diable de princesse nous a fait perdre notre journée, avec son déjeuner et ses cancans ! Aimez-vous la promenade en bateau, mademoiselle Jenny ?

JENNY. — Non, monsieur, j’ai peur de l’eau.