Page:Sand - Le Diable aux champs.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

EUGÈNE. — Ah ! Jenny, parlez-moi de celle-là ! voilà un bijou ! je voudrais être jardinier à Noirac !

FLORENCE. — Vous ne seriez peut-être pas plus avancé que moi ! Cela, c’est le lis sans tache ; comparaison de jardinier : passez-moi le classique.

MAURICE. — Ah çà ! qu’est-ce qu’il y a ? que venez-vous faire ici en tenue de gentilhomme, ma foi ! et pourquoi nous dites-vous de rester ?

FLORENCE. — Je vous le demande comme un service d’amis. Je n’ai pas encore le plaisir d’être le vôtre, mais je suis sûr que je le deviendrai, parce que j’en ai bonne envie et que je ne suis pas un mauvais garçon.

MAURICE. — Bien parlé ! nous sommes à vous !

DAMIEN. — Voyons, vous venez au secours de votre dame châtelaine, puisque vous avez entendu de quoi il retourne. Faut-il vous prêter main-forte ?

EUGÈNE. — Voilà donc que nous passons champions de la lionne, nous qui étions sur le point d’arborer l’étendard de la lorette ?

MAURICE. — Tu ne peux pas faire autrement. C’est toi qui nous as amené le jardinier, et vous avez dû faire un pacte ensemble, artistes en légumes et en fleurs tous les deux.

EUGÈNE. — Oui, nous avons juré, lui sur les cactus, moi sur les melons, d’être les meilleurs amis du monde ; mais je voudrais jouer le parti de la lionne et celui de la lorette à pile ou face.

DAMIEN. — Face pour la lionne !

EUGÈNE. — Eh bien, pile pour la lorette. Elle en a mérité plus d’une ! (Il jette la pièce en l’air, elle retombe sur la table. Florence met la main dessus avant qu’on ait eu le temps de voir.) Vous escamotez ?

FLORENCE. — De deux coquettes, il faut protéger la moins coupable ; c’est le cœur et non le sort qui doit en décider.

MAURICE. — Quelle est la moins coupable ?

FLORENCE. — Celle qui pleure.

DAMIEN. — Elle pleure, la lionne ? Allons lui chanter la Marseillaise pour la consoler, car la lorette ne fait que rire et j’aime mieux rage qui pleure que rage qui rit.