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EUGÈNE. — Et à moi ! Je n’ai jamais fait la conquête d’aucune marquise, et ce n’est pas à nous de nous garder de ce bétail-là. Que le beau Gérard-cor de chasse, Gérard-couteau de chasse, Gérard-chien de chasse se venge ou pardonne, c’est son affaire, et je m’en bats l’œil.

MAURICE. — Écoutez, mes vieux ! Gérard-veste de chasse, je le connais depuis longtemps. Je ne l’aime guère ; il m’ennuie, c’est une bête : mais je ne le méprise pas. Il est franc, il est brave, il est généreux, et en somme, s’il a les travers de ses pareils, il a des qualités qui ne dépareraient aucun homme. Eh bien ! ce que cette Laïs va faire est mauvais pour lui ; elle le rendra ridicule, il fera quelque coup de tête, je ne sais quoi ! Il ne faut pas jouer avec les cervelles faibles. Il tuera sa marquise, sa lorette, son cheval, ou lui-même. On ne sait pas ! il nous cherchera querelle peut-être Soit ! direz-vous ; mais quand on se fait une affaire, il est fort désagréable d’y avoir le mauvais rôle, et nous en aurions là un fort vilain.

EUGÈNE, — Comment ça ?

DAMIEN. — Moi, j’entends et j’approuve. Nous serions les confidents d’une Thisbé qui ne nous fait de jolis sourires pour le moment que par rage et malice ; nous aurions l’air d’être les champions d’une tigresse qui ne s’apprivoiserait peut-être pas pour cela avec nous… nous sommes trop gueux !…

MAURICE. — Et quand elle s’apprivoiserait ? Faut-il que cette pauvre lionne de Noirac, qui doit avoir la crinière bien basse en ce moment-ci, soit l’enjeu de nos folies et la victime de notre champagne ?

DAMIEN. — Après tout, cependant, nous ne sommes pas forcés de la décrier. Quant à moi, ça ne me va pas. Une femme est toujours une femme, quand elle est jolie, et la lionne est encore plus jolie que la lorette ; mais nous pouvons bien entendre les lettres, en rire, et nous taire.

MAURICE. — Non ! Gérard saura que nous les avons lues. S’il veut, en chevalier courtois, et il en est capable, venger l’honneur de sa dame, sauf à la quitter le lendemain, il