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pas sa récompense ; ils ont un immense besoin de repos. Moi qui avais lutté vingt ans et plus, je n’étais calme et maître de ma vie que depuis deux saisons, et, au moment où, étendu sur mon lit de bruyère, je n’aspirais qu’à voir la lune briller à travers les fentes du chalet et à respirer les parfums du désert, on venait m’offrir de recommencer l’existence sociale, d’y reprendre des liens, de me consacrer encore une fois, moi, victime épuisée et sanglante, à l’œuvre impossible du bonheur d’autrui !

J’espérais encore que Tonino avait plaidé le faux pour savoir le vrai ; mais ma mémoire se réveillait, et toutes les paroles, toutes les réticences, toutes les brusqueries, toutes les prévenances, tous les étranges regards, tous les étranges contrastes de cette étrange fille se présentaient à moi désormais avec leur explication. Le mystère qui avait tourmenté mon examen psychologique se dissipait devant l’évidence, et je me sentais mortellement troublé, car j’étais encore un homme dans la force de l’âge. Je n’avais pas usé mon système nerveux ; aucun excès n’avait appauvri mon sang ; mon cœur blessé avait souffert sans se refroidir ; je n’avais de vieux en moi que l’expérience et le raisonnement. J’étais capable d’aimer, je le sentais bien ; mais je n’aimais pas Félicie et je craignais de la désirer.

Dans l’âge des passions, on ne fait pas de ces distinctions critiques ; quoi qu’on en dise, aimer et désirer est presque toujours la même chose, confuse