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je caresse mon cheval ; mais la jalousie des enfants, ça s’apaise avec de l’amitié. En tout cas, votre réflexion a du bon ; Tonino a peut-être rêvé. Revenez donc, vous y verrez juste, vous, et nous aviserons.

Il s’en alla en se retournant à plusieurs reprises pour me crier :

— Vous viendrez demain ? Vous l’avez promis, vous l’avez juré !

Il était visiblement inquiet des conséquences de sa précipitation. Le brave homme avait cru que rien n’était plus simple que de me fiancer avec sa sœur, et, en optimiste entreprenant qu’il était, il n’avait pas douté que ce ne fût le moyen de me retenir à jamais auprès de lui. En s’apercevant du contraire, il se reprochait d’avoir parlé, et, au bout d’un quart d’heure de descente, il remonta pour me dire :

— En y réfléchissant, je crois bien que vous avez deviné la chose. C’est le petit qui aura imaginé cela pour savoir ce qui en est et ce que j’en pense.

— Dites-lui qu’il rêve, répondis-je, et agissons en conséquence jusqu’à nouvel ordre.

Je restai plongé dans des réflexions pénibles. Ma quinzaine de solitude dans les régions sublimes du glacier m’avait ramené à mes goûts sauvages. Les gens inoffensifs qui, comme moi, n’ont pas su vaincre la destinée, c’est-à-dire briser la volonté des autres, ne trouvent de consolation qu’en eux-mêmes, c’est-à-dire dans le sentiment de leur propre douceur. La lutte leur a été terrible comme tout devoir qui n’a