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figure, votre agilité, vos forces, votre gaieté, vos cheveux noirs ne veulent pas vous servir de compères. Vous avez tout au plus quarante ans, monsieur Sylvestre ; je suis votre aîné d’au moins cinq hivers !

Je jurai sur l’honneur que j’avais près de quarante-neuf ans.

— Eh bien, ça nous est égal, reprit Morgeron ; on n’a que l’âge qu’on porte sur sa figure et sur son corps. Ma sœur vous aime comme vous êtes, et je lui donne raison. Voyons, ne faites pas de la modestie ; elle est encore jeune et jolie femme, elle possède deux cent mille francs, et les enfants qu’elle aura dans le mariage hériteront d’autant que je leur laisserai, car je ne me marierai jamais. Elle a fait une faute, vous le savez, mais elle est plus à plaindre qu’à blâmer ; elle l’a bien réparée, et vous êtes un philosophe. Vous lui avez dit que vous la trouviez digne d’estime et de respect. Ne fermez plus les yeux, son cœur est à vous, et c’est un cœur qui vaut beaucoup ; vous ne retrouveriez jamais le pareil. Je sais que vous êtes veuf, vous l’avez dit ; vous êtes libre de tout engagement, puisque vous voilà fixé chez nous, où vous ne recevez aucune lettre. Faites votre bonheur ; croyez-moi. Vous n’êtes pas d’un caractère à vieillir seul ; vous n’êtes pas ambitieux comme moi ; il vous faut des soins, de l’amitié. Dites oui, et je vais vous embrasser à vous étouffer, car je serai fier d’un frère comme vous, et, tout ruiné que vous êtes, l’honneur sera très-grand pour nous, vous le savez bien.