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voyait tout en beau, et son plaisir était de taquiner Tonino et de faire assaut de lazzi avec lui, pourvu que ces plaisanteries eussent toujours trait à l’objet de ses espérances.

— Tu sais, lui disait-il, que, quand notre île sera en plein rapport, je t’achèterai ton titre de baron. Je veux être le baron d’Isola-Nuova. Quel besoin as-tu d’être baron, toi qui n’aimes que ton violon et tes bêtes ? Tu n’es pas fort, tu ne seras jamais qu’un berger d’Arcadie.

— Mais je suis fort, s’écriait Tonino ; je sais travailler la terre. Attendez que j’aie comme vous de la barbe jusqu’aux yeux, et vous verrez si je ne pousse pas bien la charrue !

— J’espère que la charrue passera sur mon tas de galets et que le blé y poussera avant que la barbe ait poussé sur tes joues ; mais ce qui ne te poussera jamais dans la tête, c’est l’esprit qu’il faut pour cultiver.

Alors, on discutait ; car, malgré la résolution avec laquelle Félicie et Tonino secondaient les préférences du patron, ils appartenaient à une autre école, et il avait raison de leur dire qu’ils étaient de la race des pasteurs. S’ils eussent été livrés à eux-mêmes, ils eussent abandonné au diable, c’est-à-dire au désastre des inondations, la partie basse des Diablerets, et ils n’eussent songé qu’à étendre leur domaine sur les hauteurs pour élever des troupeaux. Il y avait là, en effet, de quoi gagner sans rien risquer. Jean aimait le