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— s’attacha à moi avec une affection ardente. Il se fit la bonne de ma petite fille. Tout le jour, il la portait sur ses bras, la berçait ou la faisait rire pendant que je travaillais. À genoux dans la paille mouillée, les bras dans l’eau, je voyais tout le jour à côté de moi ces deux pauvres enfants qui jouaient au soleil, et je ne demandais à Dieu que de conserver l’un et de pouvoir récompenser l’autre. Quand le plus grand de mes malheurs, celui de perdre ma fille, vint m’écraser, Tonino fut ma garde-malade. Il pleurait en silence à côté de mon lit, et me faisait boire en soutenant ma pauvre tête égarée dans ses petites mains. Aussi, quand mon frère vint me chercher, je lui demandai en grâce de me laisser emmener Tonino, et il y consentit. Je l’ai élevé comme mon fils et je l’aime comme mon fils. Trouvez-vous que j’aie tort ?

Mademoiselle Morgeron s’arrêta pour attendre ma réponse.

— Je trouve que vous avez raison, lui dis-je : pourquoi me faites-vous cette question ?

— Parce que vous avez peut-être été choqué de la sévérité avec laquelle je traite ce pauvre garçon. Il le faut, voyez-vous ; il est trop expansif, il a le défaut de sa qualité, il est caressant comme un chien. Il est resté si enfant, qu’il faut à chaque instant lui rappeler qu’il devient homme. Il est trop Italien, c’est-à-dire trop démonstratif pour ce pays-ci. Je dois l’habituer à prendre le ton et l’allure du milieu où il doit vivre. Il faut que j’en fasse un homme rangé, un cultivateur