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toujours. Ne le réveille pas, et retourne à la maison.

— Sans vous, patronne ?

— Sans moi ; j’ai à parler avec monsieur. M’entends-tu ? Dépêche-toi !

Tonino fit quelques lazzi sur l’ennui de s’en aller seul. Il voulait obtenir un sourire, et il ne l’obtint pas. Cette fois, il me sembla qu’on le regardait comme un enfant, et que ce que j’avais vu ou cru voir dans les yeux étranges de Félicie ne tirait pas à conséquence.

Quand nous fûmes seuls, elle me raconta ce qui suit :

— Ma naissance est aussi singulière que ma vie. Je suis noble par ma mère, mon grand-père était comte, Tonino est baron. Notre famille est tombée dans la misère au siècle dernier, à la suite des pertes de jeu de notre aïeul, le comte del Monte. Son fils Antoine fut forcé de donner des leçons de musique sous le pseudonyme de Tonio Monti. Il épousa une fille noble et ruinée comme lui, eut beaucoup d’enfants, et, réduit sur ses vieux jours à la dernière détresse, il joua du violon sur les chemins, en compagnie de sa dernière fille Luisa Monti (ma mère), qui était belle et chantait bien.

« Ce pauvre grand-père qui n’avait aucun vice, mais qui manquait d’ordre et de prévoyance, était, quand même, un digne homme et un homme excellent. Je l’ai connu, je vois encore sa belle tête triste et douce, sa longue barbe blanche, son costume an-