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faisant rendre compte de toutes choses dans le moindre détail, et je reconnus qu’il mangerait à coup sûr tout ce qu’il possédait avant d’avoir réalisé le moindre bénéfice sérieux.

Il prit de l’humeur en voyant que je ne me trompais pas, et il maudit les chiffres. Il discuta longtemps et finit par se rendre à l’évidence.

Alors, il s’écria avec une sorte de désespoir :

— On ne peut donc rien faire de bon en ce monde ! Il faut laisser les choses comme elles sont, quand même on sait le remède ! Je verrai donc ce maudit torrent manger mon bien jour par jour, heure par heure, et aucun sacrifice ne me sauvera ! Puisqu’il doit me ruiner si je le laisse faire, ne vaut-il pas mieux que je me ruine en lui résistant ? N’est-ce pas humiliant pour un homme de rester là, les bras croisés, devant un fléau stupide, quand, avec sa volonté, il devrait le vaincre ?

— Vous m’avez demandé de vous aider à faire fortune, lui répondis-je. Si ce n’est pas là votre but, risquez-vous. Vous n’avez, m’avez-vous dit, ni femme ni enfants. Si l’amour-propre seul vous pousse à faire une chose hardie et remarquable, faites-la ; mais songez aussi à la honte d’être ruiné et d’être traité de fou par ceux-là mêmes qui profiteront de votre désastre.

— Oui, reprit-il, je sais cela. Quand j’aurai fait de mon marécage une île florissante, prête à me récompenser de mes peines, il me faudra la vendre à bas prix pour