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— Toute ma vie, s’il le faut.

— Et si je deviens folle furieuse ?

— N’étant ni fou ni furieux, moi, je vous ferai traiter avec une inaltérable douceur.

Elle éclata de rire. Ce rire affreux entra dans mon cœur comme une blessure mortelle, la dernière. Il palpita de douleur un instant et s’éteignit.

— Je ne veux pas partir, reprit Félicie avec une tranquillité épouvantable. Vous n’avez pas besoin de tant de vertu. Est-ce que vous allez me surveiller ?

— Je sais que ce serait inutile, si vous étiez bien décidée à fuir ; mais il serait toujours facile de vous rejoindre et de vous ramener, puisqu’on sait où vous iriez.

Elle s’élança sur moi, tomba à genoux et s’écria :

— Sylvestre ! un mot de colère, je t’en conjure ; un seul mot de haine contre Tonino et de jalousie contre moi ! sois homme ! maudis ton rival et punis ta femme ! Je croirai alors que tu m’aimes, et je t’adorerai !

— Ne m’adorez pas, lui dis-je. Je ne pourrais pas vous rendre ce que vous me donneriez.

Je la quittai ainsi. La mesure était comble. Le lendemain, je la retrouvai debout, vaillante, active, et comme étrangère au drame de cette nuit horrible. Elle avait toute sa présence d’esprit, elle commandait, elle travaillait, elle rangeait ; elle était aimable par moments avec ses gens, et avec moi, devant eux, presque enjouée. Pensait-elle à mes menaces et voulait-elle me montrer qu’il ne serait pas aisé de la faire